Le dernier numéro de Psychologie & Education pour l’année 2016 est sur le point de paraître.
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Il se compose de six articles présentés ci-dessous.
Psychologie & Education 2016-4, décembre 2016.
De la difficulté au trouble : quels enjeux pour l’enfant et le psychologue de l’Education nationale ?
Sommaire
Daniel MELLIER – Les psychologues de l’education nationale et les défis de l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap
Christine DIENG-TANQUEREY – Plan d’accompagnement personnalise : expérience en Gironde
Jean-Luc BERNABE – Lorsque l’apprentissage est troublé par l’affect
Florence SAVOURNIN – De la difficulté au trouble : vers une médicalisation des difficultés scolaires ?
Nada NAJJAR – Comprendre la métacognition dans une perspective intégrative : le cas de l’activité scripturale chez des étudiants de psychologie
Nicole CATHELINE – L’adolescent et les normes
Livres et revues
Editorial
Ne pas réussir est-il inhérent au processus d’apprentissage ? Les pédagogues répondraient certes oui, considérant par exemple que se confronter à l’erreur et la dépasser permet d’avancer. La difficulté n’est-elle pas un obstacle qui déclenche chez l’apprenant (suffisamment sécure) de pouvoir mobiliser ses ressources internes, avec le soutien de son entourage, pour apprendre, grandir ? L’entourage, ce sont ses parents, son enseignant, ses pairs, les circonstances dans lesquelles il se retrouve. Or la notion de difficulté scolaire est de moins en moins utilisée, les RASED sont d’ailleurs en péril. Héritière d’une tendance sociétale privilégiant une approche positiviste où une illusion d’objectivité domine, l’école adopte le glissement qui consiste à plutôt évoquer un trouble des apprentissages pour justifier des demandes de bilans, de rééducations, de compensations, s’écartant de ses intentions didactiques au profit d’une approche de plus en plus médicalisée des situations de certains élèves susceptibles d’être enfermés dans un certain rôle social.
Ecrit pour le COFRADEC* , l’article de Daniel Mellier pourrait être considéré, au moment de la création du corps des psychologues de l’Éducation nationale, comme la présentation de notre rôle dans une approche globale au sein d’une école inclusive.
*COFRADEC : Comité Français de Délivrance de la Certification EuroPsy. « Le but de cette Association est le développement et la gestion d’une formation certificatrice visant à faciliter la mobilité des psychologues en Europe en valorisant la formation initiale et continue en psychologie ainsi que le respect de l’éthique et de la déontologie. »
Un peu plus de dix ans après la promulgation de la loi 2005, le recul est insuffisant mais on peut tirer quelques traits d’analyse. Il faut refonder la formation professionnelle autour de l’inclusion : informer, sensibiliser. Les psychologues de l’Éducation nationale sont concernés. Leurs compétences à l’évaluation des compétences cognitives, sociales et émotionnelles des enfants doivent être mises en avant par l’institution scolaire, indépendamment des approches biomédicales des troubles. Il s’agit en effet que l’école inclusive affirme son savoir-faire à adapter le temps scolaire et la pédagogie au-delà des préconisations afférentes aux démarches diagnostiques opérées par les agents de santé. L’évaluation des connaissances et des stratégies d’apprentissage des enfants est du ressort des professionnels de l’éducation pour favoriser l’effet des facteurs de protection des difficultés scolaires, réduire les obstacles aux apprentissages et à la participation des enfants à la vie scolaire. Suite aux enquêtes menées en Europe, la convention des Nations Unies a émis des préconisations. L’auteur y reprend la nécessité de se centrer d’avantage sur les besoins que sur les déficits. Le psychologue peut proposer des séances de rééducation cognitive, du soutien aux parents (entretiens, groupes de parole…) ; ses comptes rendus pour le moment trop réduits aux données psychométriques doivent se conclure par des préconisations par rapport à l’inclusion. Il doit interroger l’intérêt de l’évaluation pour l’enfant, participer à la recherche, travailler en partenariat avec les différents acteurs concernés par l’enfant.
Le médecin de l’Éducation nationale notamment, ici Christine Dieng-Tanquerey, est de plus en plus concerné et sollicité, puisque les équipes enseignantes, les orthophonistes (ou autres rééducateurs), les hôpitaux… lui demandent un certificat médical pour une saisine de la MDPH (Maison Départementale de la Personne Handicapée), la mise en place d’un PAP (Projet d’Accompagnement Personnalisé). L’auteure analyse à travers la mise en place du PAP (et d’autres dispositifs qui l’ont précédé) comment la réponse à la difficulté scolaire est de plus en plus médicalisée et invite à bien distinguer apprentissage et évaluation. Le rapport Ringard (années 90) est à l’origine des centres de référence des troubles du langage et des apprentissages et de l’utilisation du PAI (Projet d’Accueil Individualisé) dont ceux présentant, entre autres maladies chroniques, un trouble des apprentissages. S’en suit un « désengagement des pédagogues », « le médecin de l’Éducation nationale se trouvant dans la situation de devoir expliciter les aménagements pédagogiques à mettre en place », alors qu’il doit se centrer sur les points d’appui et les besoins de l’enfant. Le PAP met en avant la notion de trouble qu’il faut interroger bien au-delà d’une simple approche cognitiviste en plus médicalisée. On oublie qu’un diagnostic doit prendre en compte les aspects psychoaffectifs, sociaux, environnementaux. Il faut pouvoir entendre avec le psychologue de l’Éducation nationale, dans une collaboration indispensable que la problématique relève parfois d’une réponse psychothérapeutique.
C’est ce qu’illustre Jean-Luc Bernabé, pour qui la question du trouble renvoie plutôt à l’impact de l’affect sur l’apprentissage de l’enfant. Psychologue clinicien en CMPP (Centre Médico Psycho-Pédagogique), il lit dans la description du trouble dans les instructions officielles ou les critères du DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) ce qui finalement concerne « tout enfant qui apprend à lire », fait partie intégrante du « processus d’apprentissage ». C’est le statut de l’erreur qui est modifié. Alors que le dépassement de l’erreur s’appuie aussi sur la capacité à une « mise en danger affective » nécessaire pour apprendre, la notion de trouble privilégie « le dysfonctionnement cognitif », « isolé de la dimension psychique et environnementale ». Ce ne serait plus alors du ressort de l’innovation pédagogique ou d’une approche globale du fonctionnement psychique de l’enfant. Ni le pédagogue, ni le psychopathologue n’auraient à participer à la réduction du trouble. Ce serait l’affaire de la neurologie et de l’orthophonie. On peut se demander si le peu de place parfois laissée dans des rapports officiels aux recherches en sciences de l’éducation et en psychopathologie psychanalytique ne témoigne pas d’une séduction pour ce réductionnisme au seul symptôme, au seul trouble isolé. L’agitation motrice apparente du petit Théo que nous présente l’auteur pourrait facilement tendre vers un diagnostic de TDAH (Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) avec demande d’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) ,l’entravant dans son acquisition d’autonomie, et/ou traitement médicamenteux. L’auteur rappelle avec Rosyne Debray que « l’appareil cognitif est contenu dans l’appareil psychique » et prend en charge les affects, l’angoisse y étant fondamentale. L’angoisse génère la pensée mais si elle déborde, elle l’entrave. Le rapport INSERM de 2007, invite à ce qu’aucune approche n’exclue l’autre pour permettre une prise en charge de l’enfant dans sa globalité et sa diversité tant au plan cognitif, qu’au plan de sa relation à son environnement.
C’est aussi la conviction de Florence Savournin, formatrice en ESPE, chercheure en clinique pathologique et interculturelle, dont nous publions l’article déjà paru dans la revue Empan avec leur aimable autorisation. Pour l’auteure, tant le grand public, avec la vulgarisation des « dys » que les instructions officielles avec les troubles des apprentissages, s’écartent de la notion de difficulté scolaire, ce qui induit de nouvelles conceptions et pratiques. Répertorié dans les grandes classifications médicales, le trouble est associé à la rééducation, la compensation. Une lecture neuroscientifique et cognitiviste prime sur une compréhension des facteurs sociaux, scolaires, pédagogiques. L’échec scolaire fait l’objet d’une médicalisation, comme plus largement l’existence, la société, qui privilégie une approche naturaliste plutôt que symbolique et culturelle des phénomènes humains. Le principe même de causalité psychique a disparu des possibilités de penser les difficultés apparaissant à l’école, et du même coup la possibilité d’envisager les choses sous l’angle de la part que le sujet peut y prendre. On surestime les tests soit disant garants d’une objectivité au détriment des savoirs et savoirs faire des enseignants. On réduit l’enfant à son étiquette au risque de lui assigner « un rôle social d’élève handicapé », malade ou troublé, écarté du groupe-classe.
Toujours dans une optique de réflexion sur l’explication plurifactorielle de la difficulté, Nada Najjar, doctorante en psychologie, propose une étude exploratoire d’une approche intégrative assez rare dans la littérature, cherchant à mesurer l’articulation entre cognition, émotion et motivation dans l’activité scripturale. Son étude porte sur un panel d’étudiants en licence de psychologie, évalués avec des tests formalisés sur le plan de la métacognition, de l’appréhension à écrire et de l’engagement académique. L’auteure met en évidence à minima l’interaction entre métacognition, appréhension à écrire et engagement, par ailleurs toutes ses hypothèses ne se vérifient pas. La discussion finale conclut à l’existence d’autres facteurs à prendre en compte dans une approche autrement contextualisée.
Pour terminer, le texte de l’allocution de Nicole Catheline, pédopsychiatre, à l’occasion des 11e Journées Poitevines de Psychologie Scolaire (juin 2016) : l’auteure y interroge la notion de la norme, qui finalement trouve à s’articuler avec la thématique de ce numéro, en espérant que l’on n’arrive pas un jour à considérer la crise adolescente comme une maladie, même si la société fragilisée qui l’abrite la rend quelque peu problématique. Notre société « postmoderne » est en mutation. Il n’est plus aujourd’hui question « d’endosser un costume déjà confectionné », on prône plutôt l’individualisme, la liberté de choix, sur fond de perte d’autorité des adultes et d’un profond sentiment de solitude. Les rapports parents-enfants s’ « horizontalisent », la vie devient « liquide ». Avoir le choix est à la fois une chance et source d’angoisse. Les parents aussi sont dans l’incertitude. Ils ne frustrent plus, négocient, n’offrent plus de « domestication pulsionnelle ». La fonction surmoïque s’en trouve affaiblie, les « craquées psychopathologiques » sont plus fréquentes. L’idéal du moi se nourrit de « figures mégalomaniaques », modèles peu solides. C’est alors le recours au clivage qui évite l’attaque narcissique. Internet et les réseaux sociaux répondent bien aux besoins des adolescents, accédant à « la gestion à la fois de la distance et du lien à l’autre », maintenant une « disponibilité d’autrui », permettant une certaine maîtrise. L’auteure retient trois axes favorables au bon développement de l’adolescent : l’effort, la flexibilité, la résistance au stress et à l’éparpillement. Elle termine par une recommandation qu’elle partage avec les adultes qui les entoure : croire en la vie.
Bonne lecture !
Le comité de lecture