Interview de Claire Leconte, spécialiste des rythmes de l’enfant et de l’adolescent

L’AFPEN a demandé à Claire Leconte, spécialiste des rythmes de l’enfant et adolescent , de répondre à quelques questions pour accompagner parents et enseignants pour faire de cette période très particulière une période la moins désagréable possible.

L’AFPEN : Quel serait votre premier conseil ?

Claire Leconte :

La première chose à faire est d’informer réellement les enfants sur le pourquoi de cette situation. Donner du sens.
Ne jamais dire que ce n’est pas grave, ça l’est, on leur mentirait en disant le contraire.
Mais beaucoup insister sur le fait que tout est fait pour les protéger, que s’ils se sentent privés, de leurs copains, de leur école, de leurs jeux dehors, ce n’est pas une punition vis-à-vis d’eux, mais le seul moyen de faire qu’il y ait de moins en moins de malades et même de morts.
Eux-mêmes éviteront ainsi de ne pas tomber malade.

Il faut aussi les convaincre que cela va permettre d’avoir plus de temps ensemble, sans être sous pression, sans avoir à toujours se dépêcher, et c’est quand même quelque chose de très agréable.

L’AFPEN : Comment organiser le quotidien, comment structurer le temps ?

Claire Leconte :

avant tout : faire avec chaque enfant le tour de sa chambre, de la maison et la liste* de tout ce qu’il peut faire seul, dans ses “temps libres”, sans oublier d’y inclure “l’ennui” qui permet de développer son imagination (dessins ou photos pour les non-lecteurs)

En début de journée, prendre un petit temps pour fixer les règles et le planning du jour pour chacun : temps “de travail” pour les plus grands, temps libres, temps d’activité avec un adulte (et lesquelles), temps pour des activités tous ensemble (et lesquelles), repas, goûter …

Chaque fin de journée, prendre quelques minutes pour parler avec chaque enfant : qu’a-t-il aimé dans sa journée, qu’est-ce qui lui a déplu, qu’aimerait-il faire le lendemain ? … mais SURTOUT lui demander comment il se sent.

Claire Leconte nous propose deux liens, pour pouvoir discuter posément de cette situation avec les enfants.

1- D’une maman médecin au CHU

Le Coronavirus expliqué aux enfants

2- une Bande Dessinée sur le confinement
https://www.instagram.com/p/B92WvSPHkx8/?utm_source=ig_web_copy_link

L’AFPEN : Vous voulez nous parler de l’heure du coucher ?

Claire Leconte

: Oui, c’est un autre conseil très important. Il faut absolument convaincre les enfants qu’ils doivent se coucher tous les jours à la même heure, et apprendre à connaître leur heure d’endormissement.
Quand ils ressentent un coup de froid en fin de journée, c’est exactement le moment où il faut aller dormir, parce qu’alors on s’endormira très vite.
Comme on va être plusieurs jours à la maison, on peut s’amuser à faire sa courbe de température.
Avec un thermomètre frontal ou auriculaire, on se prépare un petit cahier, où chaque jour on fera cette courbe, en ayant noté les heures : on prend sa température le matin quand on se réveille, puis deux fois dans la matinée, puis juste avant de manger, après le repas, à nouveau au moins deux fois dans l’après-midi, et à partir de 18h, on la prend régulièrement jusqu’à voir qu’elle baisse. Pour donner un ordre d’idée, cela peut passer de 37° à 36°5.
En le faisant plusieurs jours de suite, les enfants verront que c’est toujours à peu près à la même heure qu’elle baissera, soit l’heure où le cerveau est prêt à s’endormir.
C’est très important de le savoir, car dans la première partie de la nuit, nous faisons beaucoup de sommeil profond qui est celui, entre autres, qui permet de régénérer le système immunitaire, soit celui qui lutte contre les virus, microbes et bactéries. Plus on en fait, plus on sera résistant, or quand on va se coucher trop tard, on n’a jamais autant de ce sommeil au cours de notre nuit, il diminue en durée, et se lever plus tard n’y change rien car la nuit de sommeil se termine toujours à la même heure le matin pour le cerveau, ce qui est vrai pour tout le monde.

L’AFPEN : On fait comment avec les écrans ?

Claire Leconte :

Ne surtout jamais utiliser d’écran, télévision ou tablette ou ordinateur, juste avant d’aller dormir, on doit les éteindre au moins une heure avant.
Les enfants étant contraints de rester à la maison, il est bon de leur dire que s’il y a une émission qu’ils veulent voir, on peut l’enregistrer ou la revoir en Replay, dans l’après-midi, quand l’essentiel aura été fait et qu’on aura du temps libre, cela leur sera alors bien plus profitable.

Si on se couche à la bonne heure, on se réveille tout seul en forme et on a le temps, chaque matin, de profiter d’un bon petit déjeuner, avec sucres lents et rapides, fruits et produits protéinés. Cela donnera de bonnes habitudes ensuite.

L’AFPEN : Concrètement, on s’organise comment dans la journée, avec « l’école à la maison » ?

Claire Leconte :

Pour le travail donné par les maîtres et maîtresses, c’est le matin que les enfants sont les plus disponibles, qu’ils feront donc ce travail dans de meilleures conditions.
Il ne faudrait pas faire que des maths ou du français.
On peut penser que les enseignants donneront bien d’autres choses à faire. Il faudra alterner des activités très abstraites, qui demandent beaucoup de concentration, sont donc très dévoreuses d’efforts à faire, avec des activités où on fera davantage appel à la créativité et même à la motricité, ce qui permettra aux enfants d’avoir alors des temps de respiration. C’est ce qui maintiendra leur disponibilité aux apprentissages, sans vraiment se fatiguer.
S’ils ne savent pas faire, ne comprennent pas, ne cherchez pas à le faire pour eux, n’hésitez pas à en discuter avec l’enseignant.
Valorisez tous les efforts constatés chez votre enfant, c’est ce qui lui permettra de rester motivé.

L’AFPEN : ça, c’est pour le matin ! Et pour l’après-midi ?

Claire Leconte :

Après le repas de midi, leur donner l’habitude de se « pauser », de se relaxer, de se détendre sans s’hyper exciter. Les plus jeunes iront directement à la sieste, mais les plus grands, y compris les adolescents, gagneront en bien-être s’ils vont prendre alors une vingtaine de minutes à se relaxer. C’est une autre bonne habitude à prendre.

L’après-midi, il faut alléger tout ce qui requiert beaucoup d’efforts cognitifs. Là encore on peut penser que les enseignant-e-s donneront des idées ou des conseils. Quoi qu’il en soit, il existe de nombreux supports ludiques, tant sur internet qu’en jeux, utilisez les pour permettre à vos enfants de voir si tout ce qu’ils ont appris, ils peuvent le réutiliser.

Voici quelques conseils d’activités pour les parents qui ont des enfants jeunes.
Mettez à la disposition de vos enfants des feuilles, des feutres, des stylos et des crayons pour qu’ils puissent dessiner abondamment.
Portez toujours un regard positif sur leur travail.
Ne critiquez pas leurs choix de couleurs.
Si vous croyez qu’ils gribouillent, laissez-les faire car, en fait, ils sont en train de s’entraîner et s’ils s’entraînent tous les jours, vous verrez peu à peu apparaître des formes nouvelles, puis des bonshommes, des monstres, des animaux, des véhicules, des maisons, etc.
Pour varier, vous pouvez leur conseiller de copier les dessins d’un livre ou leur proposer de poser une poupée à côté de leur feuille pour la copier, vous les aidez un peu en l’encourageant, etc.

Mettez des catalogues et des revues à sa disposition ainsi que des ciseaux et de la colle pour qu’il puisse découper et coller.

Vous pouvez apprendre à faire des ribambelles.

Ribambelles en papier

Vous pouvez cuisinez avec eux.
https://www.enfant.com/votre-enfant-3-5-ans/activites-loisirs-jeux/des-recettes-a-faire-avec-son-enfant/

Profitez-en pour leur faire goûter de nouveaux aliments qu’ils cuisineront eux-mêmes.
Pour leur faire découvrir aussi ce qu’on fait ailleurs, dans d’autres pays, pour s’alimenter.

Fabriquez avec son aide de la pâte à sel. Laissez-le modeler, découper la pâte à sa guise, même si le résultat n’est pas flagrant, il est important qu’il prenne plaisir à malaxer, triturer…
https://www.teteamodeler.com/boiteaoutils/creativite/fiche10a.htm

Cet apprentissage leur permettra ensuite de passer à la fabrication de têtes de marionnettes. Puis ils costumeront ces têtes, mises sur un bâton, avec des chutes de tissu qu’on ne peut que trouver dans les maisons.
Ensuite ils écriront, (quand il y a une fratrie avec des enfants d’âge différent, c’est intéressant, car les plus petits peuvent oralement participer à la construction de l’histoire et ce sont les plus grands qui l’écriront) l’histoire qu’ils auront inventée.
Enfin avec les cartons qu’ils pourront récupérer, ils construiront le castelet.
Une fois tout cela fait, et la pièce répétée, ils se produiront devant les parents, ce qui fera une bonne soirée.

Vous pouvez, tous les jours, lire plusieurs albums à vos enfants, même s’ils les connaissent déjà. Proposez-leur de choisir ceux qu’ils aiment et, de temps en temps, faites-leur découvrir des albums nouveaux. Vous pouvez aussi leur montrer des livres scientifiques sur le corps, la nature, la faune, le monde, le cosmos.
Profitez-en aussi pour proposer aux plus grands de bien vouloir lire aux plus petits des livres qu’eux-mêmes ont aimés.

Cinq minutes par jour, vous pouvez jouer à apprendre à reconnaître les lettres de l’alphabet.

Si votre enfant ne gribouille plus, s’il commence à bien dessiner, vous pouvez lui donner le modèle de son prénom ou d’autres mots qu’il choisit et vous lui demandez de recopier au-dessous de votre modèle en majuscules d’imprimerie. Ne le brusquez pas, soyez toujours positif et encourageant. Cela lui donnera du cœur à l’ouvrage. Sauf s’il en redemande, cet exercice ne doit pas durer plus de 10 minutes par jour.

Et puis, il y a tous les jeux que vous pouvez faire avec eux : des puzzles faciles ou difficiles, des jeux de société : petits chevaux, dominos, mikados, jeux de l’oie, mistigri, dames, échecs, le compte est bon, le baccalauréat, le jeu du code de la route, etc.
Ces jeux sont à découvrir pour certains enfants, c’est le bon moment de le faire.
On peut aussi leur proposer d’en fabriquer eux-mêmes, comme des mikados, avec des bâtons servant à faire des brochettes que l’on peindra, mais aussi des jeux d’osselets, avec des cailloux suffisamment ronds, qu’on peindra.
On peut aussi leur faire faire un jeu de l’oie, ils s’amuseront à imaginer des questions, avec plusieurs réponses, et construiront le jeu et les cartes de jeux.
Cela peut être proposé quand les parents, à la maison, sont en télétravail, pour qu’eux aussi aient des moments de calme pour travailler.
Mais il sera ensuite important d’en discuter avec les enfants, mais aussi d’utiliser ces jeux avec eux.
N’oubliez pas tout ce qu’on peut faire avec des bâtons d’esquimaux mais aussi avec des pinces en linge en bois.

Pour les parents et/ou pour les aînés, vous pouvez regarder un court moment par jour avec votre enfant , ce site :

– 10 musées à visiter de la maison. Collections virtuelles en ligne.

https://www.geo.fr/voyage/coronavirus-10-musees-a-visiter-en-ligne-200242?fbclid=IwAR1eWXJHYKyGOMsK4WyH3RMBqF5m_PPHm8zRcBiUBJKPHPHYTsf7MOEs324

– ET un site collaboratif très complet (y compris quelques idées pour les profs) de la lecture-écriture aux jeux, de la méditation au sport ou au yoga pour parents et enfants

https://taleming.com/occuper-enfants-maison-coronavirus/?fbclid=IwAR2GHCwbV0eagYhZ-FcGy97DDBlj47JwGFKdbDC71hW16OplRAFfX0rs6ek

Le site de l’ICEM (des enseignants utilisant la pédagogie Freinet) met à disposition, pendant cette période difficile, des fiches accessibles gratuitement.

Pour le Jardinage par exemple
http://www.icem-freinet.net/~btj/BTJAjard/acjardin.php?choix=730

http://www.icem-freinet.net/~btj/170semis/acsemis.php?choix=177
http://www.icem-freinet.net/~btj/261plant/acplante.php?choix=293

À la maison, en ce qui concerne les apprentissages, il est important d’alterner des démarches ouvertes, dans lesquelles l’enfant découvre plein de nouvelles choses par lui-même, avec des démarches guidées, rassurantes pour certains. Ce sont deux manières complémentaires d’apprendre, à utiliser chaque jour.

L’AFPEN : Peut-on positiver ce confinement ?

Claire Leconte :

Enfin, surtout, profitez en famille de ce temps qui vous est imposé. En prendre beaucoup pour communiquer, échanger entre vous, sans avoir autre chose à faire d’urgent.
Parler, communiquer, se raconter ce qu’on ressent, ce qu’on craint, ce qu’on aime bien, ce qu’on a envie de faire, c’est excessivement important en ce moment particulier, et on finira par en prendre l’habitude en abandonnant pour un moment le téléphone portable ou la tablette.
Donner la possibilité aux enfants d’avoir des temps d’expression sur leurs ressentis est fort important, sachant que quand tout le monde travaille, c’est sans cesse la course pour tout le monde, donc voyons ce temps obligé pour un temps nous donnant la chance d’en profiter.
Et ne craignez jamais de voir votre enfant s’ennuyer, même s’il vous le dit, au contraire, dites-lui que c’est une chance car cela signifie qu’il a du temps libre rien que pour lui, comme c’est de plus en plus rare, c’est bien d’en profiter.

L’AFPEN : Des recommandations pour les professionnels ?

Claire Leconte :

Je me permets d’envoyer les instructions faites par le ministère de l’éducation belge, wallonne, qui me semble frappées de bon sens. Tous les professeurs des écoles peuvent, devraient, s’en inspirer.

Il est important de rappeler que ce moment, qui n’a jamais existé, ne doit pas conduire à renforcer les inégalités déjà trop grandes dans ce pays. Tous les enfants doivent pouvoir profiter de ce qui est offert par l’école.
Or on sait que toutes les familles ne possèdent pas internet. Il est donc impératif que des consignes puissent être données par téléphone, ou papiers récupérables à l’école à des moments particuliers.
Les enseignants doivent construire des plans de travail à donner aux familles, pour que les parents sachent comment organiser la journée, et le parcours de l’enfant.
Si certaines familles n’ont pas internet, il faut absolument trouver le meilleur moyen de garder le contact, et de permettre aux enfants d’envoyer à leur enseignant le travail fait, mais aussi les questions qu’ils se posent. Selon les territoires, ce sera plus facile par téléphone, ou avec des moments programmés de rencontre à l’école, ne serait-ce que pour faire passer les documents réalisés par les enfants (attention cela des territoires).

C’est évidemment une période très particulière, jamais connue de qui que ce soit, même pas des personnes qui ont vécu la guerre, car alors les écoles n’étaient pas fermées pour autant.
Les enseignants peuvent aussi se sentir déroutés, il faut les rassurer sur le fait que tout ce qu’ils feront pour ne pas laisser leurs élèves dans la nature, servira énormément à ces enfants.
C’est peut-être le moment d’innover, que chacun s’interroge sur ce qu’il peut changer dans sa manière d’enseigner, de transmettre les connaissances, et de vérifier ce qui est acquis. Peut-être peut-on voir cela comme une chance de retrouver confiance en soi, et de se passionner à nouveau.

L’AFPEN : Merci Claire Leconte pour vos recommandations qui guideront parents et enseignants. Vous nous avez donné d’autres recommandations pour les psychologues que nos adhérents peuvent consulter sur la page qui leur est réservée.

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